Retour sur une éviction-clé : Ammar Felhi, ancien cadre de la sécurité
Alors que les frasques des hauts cadres de la sécurité s’étalent jusque dans les tribunaux, nous revenons ici sur une éviction des plus sombres d’un haut commis de l’Etat.
Ammar Felhi, « amīd » (général de brigade) à la tête de la Direction centrale de lutte contre le terrorisme (DCLCT) de la Garde nationale de 2006 à 2017, s’était imposé comme un « homme de terrain ». Il conduisit notamment, fin 2015, l’opération qui aboutit à l’élimination de Lokman Abou Sakhr dans la région de Sidi Aïch, succès salué comme un « modèle » par plusieurs armées étrangères .
Pourtant, en mai 2016, l’« affaire de Mnihla » jette le discrédit sur le ministère de l’Intérieur : une prétendue « cellule terroriste » arrêtée à Ariana est jugée « totalement fabriquée » par les forces de l’ordre, montage orchestré depuis le cabinet de Lotfi Brahem, avant que la cour de Tunis, en février 2020, ne relaxe les accusés et dénonce une « mise en scène terroriste » . Le nom d’Ammar Felhi n’apparaît toutefois dans aucun acte d’accusation : la justice n’a retenu contre lui aucune charge, laissant entendre qu’il a simplement appliqué des directives ministérielles dont il n’était pas l’auteur .
Dans le même temps, l’enquête sur l’assassinat, le 15 décembre 2016 à Sfax, de l’ingénieur aéronautique Mohamed Zouari reste dans l’impasse : bien que des suspects — dont un ressortissant autrichien et deux Bosniaques — aient été identifiés en 2018, le dossier stagne, les audiences se faisant rares et la piste du Mossad non vérifiée faute d’avancées concrètes.
Limogeage et désaccords éthiques
En février 2017, le ministre de l’Intérieur Hédi Majdoub l’a démis de ses fonctions opérationnelles, évoquant un « manque de communication » et une « absence de coordination » avec les autres services de sécurité sur ces dossiers sensibles . Mais, au‑delà de ces motifs, le véritable point de rupture porte sur l’éthique : Ammar Felhi, réputé pour sa rigueur morale, son conservatisme et son patriotisme, refusa de cautionner toute manœuvre qu’il jugeait « subversive », notamment les falsifications ou mises en scène destinées à renforcer l’image du pouvoir sous couvert de lutte antiterroriste. Privé de ses prérogatives de terrain, il n’a depuis exercé qu’un rôle consultatif, sans plus participer aux stratégies qu’il supervisait jadis.
Deux tendances subversives au ministère de l’Intérieur
Pendant les gouvernements de Youssef Chahed et sous les ministres Majdoub puis Brahem, le ministère de l’Intérieur fut tiraillé par deux courants antagonistes :
- Une tendance idéologique, incarnée par le Parti unifié des patriotes démocrates (Watad) — formation marxiste‑léniniste et panarabe, farouchement anti‑islamiste, accusée par ses adversaires de se comporter en « Stasi » interne et d’utiliser la peur de l’islamisme comme cheval de bataille pour se rapprocher du pouvoir économique et politique, sans jamais disposer d’une majorité électorale suffisante .
- Une tendance mafieuse, double facette :
- Les cartels du Sahel, tirant profit de réseaux transnationaux de trafic d’armes et de drogues pour influencer certaines orientations stratégiques.
- Les réseaux de contrebande frontalière, qui exploitent la porosité des frontières terrestres pour importer et redistribuer marchandises illicites, assurant en retour un financement occulte à des officiers et décideurs locaux .
Sous le règne de Youssef Chahed, c’est cette seconde tendance mafieuse — cartels du Sahel et réseaux de contrebande frontalière — qui a pleinement triomphé, s’imposant face à la faction idéologique .
Strictement moral, conservateur et profondément patriote, Ammar Felhi n’a jamais prêté allégeance à l’une ou à l’autre de ces tendances : son refus de participer à des opérations contraires à ses valeurs l’a isolé politiquement, et c’est cette intégrité — plus encore que tout déficit de compétence — qui explique qu’on l’ait écarté de la tête de la DCLCT pour le reléguer à un rôle purement administratif.
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