De l’Aïd à la Pentecôte : nouvelles formes pour d’anciennes réalités
Par Jamel HENI
Suite à un article publié dans La Provence à l’occasion de l’Aïd el-Kébir, les commentaires sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, ont majoritairement exprimé un rejet violent de la simple mention de cette fête religieuse musulmane. Nombre de réactions ont préféré rappeler que l’on fêtait en France « la Pentecôte, pas l’Aïd », comme si la cohabitation des rites et des cultures religieuses n’était qu’une anomalie passagère dans l’histoire républicaine.
Ce réflexe pavlovien, nourri d’ignorance, de xénophobie et d’un nationalisme déguisé en laïcité, dit long sur l’état de la société française. Il signe l’échec d’un projet : celui de la Révolution française. La France qui se voulait patrie des Lumières semble avoir reculé dans l’obscurité de ses peurs identitaires. À l’empire de l’universalisme s’est substitué l’enfermement des tribus, et à l’idéal républicain, le petit racisme quotidien. Ce ne sont plus les idées qui fédèrent, mais les origines ; non plus la culture, mais le sang.
La France culturelle, diverse, ouverte et pensante, s’efface au profit d’une France dite « naturelle », bornée, enracinée dans une fiction ethnique. On ne lit plus Voltaire, on regarde CNews. On n’écoute plus Condorcet, on relaie Zemmour. Les diplômés de la République sont poussés vers la sortie, remplacés par les prédicateurs de plateaux. La confusion règne : la laïcité devient un étendard antimusulman, un cache-sexe d’un christianisme occidentalisé jusqu’au contresens – Jésus, Palestinien oriental, rebaptisé breton de souche !
Et dans cette distorsion historique, on ose encore brandir le sort des Chrétiens d’Orient, au nom de valeurs chrétiennes prétendument persécutées, tout en refusant aux musulmans d’Occident le droit élémentaire de pratiquer leur foi. Les affabulations sur les Chrétiens d’Orient, dont certains étaient ministres aussi bien au Levant qu’en Égypte, n’ont d’égal que celles sur les musulmans d’Occident, caricaturés en apprentis djihadistes imposant la charia et égorgeant des moutons dans des baignoires (qui n’existent plus !).
La dernière polémique autour de la fraternité en dit long : propriété républicaine lorsqu’elle est brandie dans les discours officiels, elle devient suspecte quand elle est prononcée par un président modérément critique envers Israël, à l’occasion de la victoire d’un PSG financé par un pays musulman. Elle cesse alors d’être une devise républicaine pour devenir, dans la bouche d’un avocat défenseur du génocide palestinien comme le franco-tunisien Pierre Lellouche, ou encore Éric Zemmour et les *chroniqueaillons* de CNews – *remplacistes* et *Paranoïaques volontaires* – un clin d’œil à une soi-disant menace. Dans cette logique absurde, Robespierre lui-même serait aujourd’hui qualifié de « frère musulman ».
L’indignation est sélective : compassion pour les chrétiens du Levant, hostilité pour les musulmans du Levant… installés en France.
La haine n’est pas nouvelle. Les actes islamophobes jalonnent l’histoire contemporaine de France. Seulement, leur légitimation politique a ressuscité sous une forme officielle et assumée. Autrefois marginaux, ils trouvent désormais des relais officiels. Le Rassemblement National, ultra-nationaliste et anti-immigrés, et Reconquête, ultra-islamophobe et anti-étrangers, ont pris le relais des pamphlets pour en faire des programmes. Mais l’islamophobie politique a aussi rencontré un contre-pouvoir : La France Insoumise, dont des élus n’hésitent plus à défendre les citoyens musulmans jusque dans l’hémicycle.
Oui, il y a Éric Zemmour et Éric Ciotti. Mais il y a aussi Jean-Luc Mélenchon et même Dominique de Villepin. Il y a CNews, mais il y a aussi Radio Nova, Libération, Mediapart, et d’autres résistances intellectuelles et médiatiques. Le champ n’est plus déserté.
Il faut cependant rappeler que la France n’a jamais été un bloc monolithique. Il existe autant de résurgences islamophobes que de consciences islamophiles, autant de Torquemada que de Philippe de Villiers — remplaciste islamophobe autoproclamé — que de Philippe Grenier, premier député musulman de France, élu en 1896 dans le Doubs, médecin, converti à l’islam et défenseur acharné de la liberté religieuse et de la tolérance. Ce fils de notaire catholique, ayant effectué le pèlerinage à La Mecque, siégeait à la Chambre des députés couvert d’une chéchia, symbole tranquille d’une République autrefois capable de tolérer, voire d’embrasser, ses minorités. Cette mémoire ressurgit lentement mais sûrement dans une forme de combat politique.
L’islamophobie n’est donc pas un simple produit de l’air du temps. Elle n’est pas une dérive passagère, mais une composante historique régulière de la société française. La différence aujourd’hui, est qu’elle a trouvé une forme politique assumée. En retour, la lutte contre cette haine a elle aussi franchi un cap : elle n’est plus confinée au champ culturel ou militant, elle est devenue un combat politique. Un combat pour une citoyenneté musulmane, pleine et entière.
Car ce qui se joue aujourd’hui n’est pas simplement le droit de fêter l’Aïd en paix. Ce qui se joue, c’est le droit d’être Français et musulman, sans condition, sans honte, sans justification. Un droit aussi républicain que celui de fêter Noël ou de croire en rien. Le reste n’est que croisade d’incultes et *névroses réactionnaires*.
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