Fares Khaled ou l’éternel chevalier

Last Updated: 4 mai 2025

Mort pour un drapeau, devenu un symbole

En tombant alors qu’il tentait de hisser le drapeau palestinien au sommet de son école, Fares Khaled n’a pas simplement perdu la vie. Il a, par son geste, révélé les lignes de fracture d’un pays qui dit porter la Palestine dans son cœur, mais peine parfois à reconnaître ceux qui la servent dans le silence. Ce jeune Tunisien, discret mais engagé, proche d’un syndicat étudiant marginalisé, a réveillé la mémoire et interrogé le présent. Au-delà de la douleur, son nom s’impose comme un rappel nécessaire : celui du courage pur, du sacrifice nu, et du regard critique sur ce que l’on tait.

Un acte de conviction

Fares Khaled, 21 ans, étudiant à l’École Supérieure des Sciences et Technologies du Design (ESSTD) de Denden, a trouvé la mort dimanche dernier en chutant du toit de son établissement. Il tentait d’y fixer le drapeau palestinien, un geste devenu rare, chargé de sens, à une époque où la cause palestinienne revient au premier plan dans les cœurs, mais semble s’éloigner des institutions. Son décès tragique, d’abord passé sous silence, a fini par secouer l’opinion publique, obligeant les grands médias à rompre une forme d’embarras initial.

Le silence initial : simple prudence ou censure implicite ?

Issu d’un milieu conservateur, Fares était considéré comme proche de l’Union Générale Tunisienne des Étudiants (UGTE), syndicat majoritaire dans plusieurs universités, mais marginalisé dans l’espace médiatique au profit de son rival de gauche, l’UGET. Ce contexte a sans doute pesé sur le traitement hésitant, voire tardif, de sa mort. Il n’est pas interdit de s’interroger : si le drame avait concerné un militant d’un courant plus conforme à la sensibilité éditoriale dominante, aurait-il été davantage mis en lumière dès les premières heures ?

Une parole paternelle qui élève le débat

La dignité de la réaction paternelle a frappé les esprits. Dans un silence bouleversant, le père de Fares s’est adressé au peuple palestinien avec une formule qui restera gravée :« Votre frère vient de vous rejoindre. Je viens de le dépêcher. »
Loin du pathos, ces mots ont élevé le drame au rang d’acte offert, libre et lucide, à un combat que de nombreux Tunisiens continuent de considérer comme le leur.

Une mobilisation étudiante ignorée

Le jour même de la tragédie, des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes à l’initiative de l’UGTE. Pourtant, leur existence même n’a été évoquée dans pratiquement aucun média traditionnel. L’accent a été mis — comme souvent — sur les initiatives de l’UGET, souvent bien moindres, mais historiquement mieux implantées dans les rédactions. Ce biais soulève une question de fond : la presse tunisienne peut-elle continuer à ignorer certaines expressions de la société, au motif qu’elles ne coïncident pas avec sa culture politique ? Une information juste peut-elle se permettre d’être sélective ?

Une absence officielle remarquée

Plus encore, l’absence totale de représentants officiels aux funérailles de Fares a frappé les observateurs. Aucun membre du gouvernement, aucune figure de l’État n’a été aperçue, alors même que la diplomatie tunisienne ne cesse de proclamer la centralité de la cause palestinienne. Doit-on y voir une gêne face à une figure qui échappe aux canaux officiels ? Une prudence politique mal placée ? L’interrogation mérite d’être posée, d’autant plus que la présence d’une délégation de l’ambassade de Palestine — qui a rendu hommage à Fares — a rappelé, à elle seule, la portée de son geste bien au-delà des frontières nationales.

Une reconnaissance venue d’ailleurs

Des organisations palestiniennes, du Hamas à l’OLP, ont salué sa mémoire, le présentant comme un martyr de la solidarité arabe. Côté tunisien, c’est l’école elle-même qui a suspendu les cours pendant deux jours et mis en place un soutien psychologique pour les camarades de Fares. Un hommage simple, sincère, à défaut d’être officiel.

Des funérailles populaires, un adieu grandiose

Ses funérailles ont été spectaculaires. Des centaines de jeunes ont accompagné son cercueil, drapeaux en main, slogans aux lèvres, dans une procession émouvante et digne. La Tunisie réelle, celle des cœurs, y était. La Tunisie institutionnelle, elle, brillait par son absence.

Une leçon à tirer

Fares Khaled n’était pas un héros fabriqué. Il n’était pas connu. Il ne demandait rien. Il voulait simplement faire flotter un drapeau. Ce geste, que d’autres auraient vu comme une simple démonstration symbolique, lui aura coûté la vie. Mais il aura aussi offert à la Tunisie un miroir. Celui d’une jeunesse qui ne demande ni caméra, ni reconnaissance, mais juste à vivre en accord avec ses convictions. Et à mourir, s’il le faut, en les incarnant.
Fares Khaled, désormais, fait partie de ces noms que le temps ne peut effacer. Non parce qu’il a été glorifié par les pouvoirs, mais parce qu’il a touché l’essentiel. À quoi bon proclamer l’amour de la Palestine dans les discours, si l’on détourne les yeux de ceux qui tombent en la servant ?

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