FORIF vs CFCM : Deux Modèles Antagonistes de Gouvernance du Culte Musulman en France
À l’occasion du Ramadan et après les récentes violences islamophobes visant une mosquée à Orléans, peu relayées par les médias, revient sur le devant de la scène la question lancinante de la représentation des musulmans de France et de leur défense face aux discriminations. Loin d’être résolue, elle oppose aujourd’hui deux modèles de gouvernance du culte musulman : le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) et le Forum de l’Islam de France (FORIF).
Le CFCM, fondé en 2003 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, visait à créer un interlocuteur unique entre l’État et les musulmans de France. Son fonctionnement, basé sur un système électoral impliquant des fédérations souvent liées à des pays étrangers, a généré de nombreuses tensions internes, jusqu’à rendre l’institution dysfonctionnelle.
En 2023, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, a mis un terme au dialogue entre l’État et le CFCM, affirmant qu’il n’était plus légitime pour représenter les musulmans. Cette décision, qualifiée d’unilatérale et inacceptable par les responsables du CFCM, a été vivement contestée. L’institution, bien que marginalisée, n’a jamais été dissoute et poursuit son travail de représentation des fidèles musulmans.
Pour remplacer cette structure, le gouvernement a instauré le FORIF, un nouvel espace de dialogue, fondé en 2022 sous l’égide des préfets. Cette initiative vise à décentraliser la gouvernance du culte musulman et à favoriser une approche pragmatique, en privilégiant des acteurs locaux, souvent issus du milieu associatif, et en les intégrant dans des groupes de travail thématiques.
Mais le FORIF est-il une solution durable ou une tentative de mise sous tutelle administrative du culte musulman ? Cette question divise aujourd’hui les acteurs du terrain, notamment sur la représentativité et l’indépendance réelle de ce nouvel organe.
Un modèle impulsé par l’État contre un modèle électif
Depuis que l’État a mis fin à son dialogue avec le CFCM, le FORIF est devenu l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Contrairement au CFCM, qui repose sur une logique électorale où les mosquées et les fidèles participent au choix de leurs représentants, le FORIF fonctionne selon un modèle de désignation directe : ses membres sont sélectionnés par les préfets et non élus.
Cette approche a suscité de nombreuses critiques, notamment de la part du politiste Franck Frégosi, qui dénonce un déni de démocratie :
« À aucun moment, l’idée de laisser les fidèles musulmans, à l’instar de ce que font les juifs et les protestants français, choisir par voie d’élections ceux qui auront pour fonction de gouverner les instances communautaires depuis la base jusqu’au sommet n’a été sérieusement envisagée. »
Le FORIF reflète ainsi une volonté de l’État de structurer le culte musulman selon des critères administratifs, en favorisant une approche technique et organisationnelle. Toutefois, cette structuration s’éloigne d’une gouvernance religieuse fondée sur la participation des fidèles et soulève une question fondamentale : un culte peut-il être encadré par une instance dont les représentants sont nommés par l’État ?
Tableau comparatif : FORIF vs CFCM
| Critères | CFCM | FORIF |
|---|---|---|
| Identité | Instance électorale, civile et représentative des fidèles musulmans, sans condition de localité. | Instance quasi-exécutive, coopérée par les préfets, représentant plus les associations locales que les mosquées et les fidèles. |
| Structure | Organisation pyramidale avec élections départementales impliquant les mosquées. | Modèle horizontal, où les préfets désignent les membres sans élection. |
| Fonction | Instance de représentation des musulmans en tant que citoyens et pratiquants, gérant : formation des imams, financement des mosquées, aumôneries, halal, fêtes religieuses. | Organe consultatif, limité à des recommandations sur la sécurité des lieux de culte, le statut des imams et le financement associatif. |
| Tendances | Inspiré d’un modèle représentatif, proche du Conseil des évêques ou du Consistoire juif, mais sans clergé centralisé. | Inspiré d’un modèle administratif, où l’État structure l’organisation du culte et définit ses orientations officielles. |
| Liberté | Indépendant de l’État mais historiquement influencé par des États étrangers (Algérie, Maroc, Turquie). | Encadré par l’État : les préfets sélectionnent les membres, ce qui introduit un biais politique. |
| Vision du culte | Perçoit l’islam comme une communauté de croyants, gouvernée par des responsables religieux mais sans clergé. | Risque de « clergisation » de l’islam, car l’État définit les critères de formation des imams et leur rôle officiel. |
Un Risque de Clergisation et de Contrôle Étatique du Culte
Il est bien connu que l’Islam rejette toute forme de clergé et ne reconnaît pas de médiateur entre Dieu et les fidèles. Pourtant, le FORIF introduit un risque de "clergisation" de l’islam, où l’État, en définissant les critères de reconnaissance des imams et en encadrant leur rôle, pourrait établir une forme d’islam officiel, validé par l’administration.
Le CFCM, quant à lui, repose sur une logique de représentation électorale, garantissant une diversité des sensibilités religieuses et l’absence de clergé centralisé.
Cette évolution, si elle se confirme, éloignerait l’islam français du principe de séparation des cultes et de l’État inscrit dans la loi de 1905 et poserait un précédent dans la gestion du religieux en France.
Vers une coexistence des deux modèles ?
Face à cette situation, Mohammed Moussaoui, représentant du CFCM, plaiderait en substance, et si les mots ont un sens, pour une coexistence des deux structures. Il défend l’idée que le FORIF pourrait représenter la communauté culturelle musulmane, tandis que le CFCM continuerait d’assurer la représentation des fidèles et des lieux de culte.
En filigrane, cette proposition repose sur un équilibre : laisser aux associations musulmanes un rôle socioculturel, tout en maintenant une gouvernance religieuse indépendante du contrôle direct de l’État. Cette solution permettrait d’éviter une mise sous tutelle complète du culte musulman, tout en intégrant les évolutions sociétales qui touchent les musulmans de France.
Reste à savoir si l’État acceptera cette complémentarité ou s’il cherchera à imposer le FORIF comme seul organe de gouvernance, au risque de creuser un fossé entre l’administration et les pratiquants.

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