La caravane Somoud en Tunisie : enjeux et perspectives d’un examen géopolitique populaire
Par Jamel HENI
La caravane Somoud, dont le nom évoquerait « Persévérance », s’est imposée comme un événement marquant du Maghreb politique à plusieurs niveaux, local, régional et international. Plus qu’un simple mouvement, offrirait-elle une illustration concrète des dynamiques complexes et insoupçonnées qui traversent aujourd’hui les sociétés arabes, les rapports géopolitiques de la région et les solidarités transnationales retrouvées.
Une expérience locale de rassemblement au-delà des clivages
Sur le plan local, la caravane aurait réussi à réunir des acteurs souvent opposés – conservateurs et progressistes – qui s’affrontaient par ailleurs dans l’arène politique. Par exemple, Wael Naouar, impliqué dans des incidents graves, est néanmoins membre du comité d’organisation, ce qui illustre la coexistence fragile mais effective d’adversaires historiques autour d’enjeux communs. Ce rassemblement montre que la coopération entre opposants est possible lorsque l’enjeu dépasse la conquête du pouvoir et se concentre sur la défense de valeurs partagées.
Un examen géopolitique populaire des alliances régionales sur la question palestinienne
À l’échelle régionale, la caravane a montré sous un jour inédit sur les véritables alignements géopolitiques autour de la cause palestinienne. À partir d’expériences vécues, a-t-elle mis à jour des réalités qui démentent les discours officiels. Alors que l’Égypte et la Libye de l’ouest (sous Haftar) sont présentées comme d’imparables remparts face à la Turquie et ses alliés conservateurs, ce sont précisément ces deux États qui ont vigoureusement bloqué la caravane. Inversement, la Libye de l’Est, proche de la Turquie, a soutenu le convoi humanitaire, tandis que la Turquie elle-même organise des flottilles d’aide vers Gaza, montrant que les alliances réelles diffèrent des narratifs médiatiquement et politiquement dominants.
Vers une solidarité internationale entre luttes populaires
Sur le plan international, la caravane aurait permis de reconnecter les mouvements anti-sionistes occidentaux aux luttes populaires arabes et africaines. Cette articulation élargirait, si les esprits communient, le combat contre la guerre à une dimension universelle, autour de la justice, la fraternité et l’autodétermination. Elle montrerait, encore une fois, que les États-Nation jouent un rôle négatif dans les solidarités internationales, censurant les voix populaires transnationales, hors frontières. Cette dynamique questionne la pertinence du modèle traditionnel de représentation gouvernementale face aux mouvements autonomes de masse.
Limites et contradictions internes
Cependant, cette dynamique n’échappe-t-elle à certaines limites ? Les tensions partisanes restent présentes. Les médias tunisiens de gauche ont largement focalisé leur attention sur Wael Naouar, occultant d’autres figures clés comme le docteur Mohamed Amine Bennour, initiateur de la caravane et médecin humanitaire à Gaza. De plus, le point de presse d’arrivée, marqué par l’absence de traversée réelle, a-t-il été présidé par un membre du bureau exécutif de l’UGTT qui n’avait pas participé à la caravane. Son discours reprenait la rhétorique anti-turque du camp Haftar, alors que ce dernier avait bloqué la caravane, donnant ainsi une visibilité excessive à une minorité politique et défendant jusqu’aux contempteurs régionaux des solidarités pro palestiniennes.
Ces faits soulignent la nécessité de mouvements semblables à la caravane Somoud pour dépasser les pesanteurs idéologiques et sectaires qui freinent la mobilisation populaire.
Un obstacle majeur : le poids des nationalismes arabes
Il est grand temps, désormais, de noter que l’obstacle principal à l’unité arabe semble venir de certains nationalistes arabes eux-mêmes, ceux-là auraient chichement arboré l’absence de visas égyptiens pour les militants comme prétexte au blocage. Tandis que leur discours prétend combattre les frontières et leurs effets délétères, cette cocasse contradiction illustre, si besoin est, comment le panarabisme est objectivement contre l’union arabe, comment les panarabistes perpétuent paradoxalement le caractère nationaliste et fragmentaire des relations régionales, freinant une solidarité réellement unifiée. Commet leur psychologie aurait-elle vaincu leur idéologie, parce que le surmoi anti islamiste est plus fort que le moi de l’union, pour faire de la psychanalyse de télé!
Perspectives et enjeux à venir
À travers ces différentes dimensions, la caravane Somoud s’apparenterait à un laboratoire d’expériences politiques inédites. Elle montre qu’il est possible de dépasser, au moins temporairement, les antagonismes traditionnels quand les objectifs communs l’emportent sur les luttes pour le pouvoir. Sur le plan régional, elle révèle que les alliances géopolitiques effectives ne correspondent pas toujours aux discours officiels, invitant à une lecture plus fine des rapports de force autour de la question palestinienne. Sur la scène internationale, elle incarne une volonté de relier les combats populaires contre l’injustice et la guerre au-delà des frontières nationales et de devoir narguer les limites de l’Etat nation, quand il s’agit de luttes internationales.
Cependant, ces avancées restent-elles fragiles et traversées par des contradictions internes et externes, que ce soit les luttes partisanes, les monopoles discursifs ou encore les pesanteurs des nationalismes. Le défi principal semble résider dans la capacité des mouvements populaires à construire une unité qui ne soit seulement circonstancielle, une forme d’autonomie vis-à-vis des Etats et une interdépendance vis-à-vis de l’espèce humaine, à la fois.
La caravane Somoud ne prétend rien au-delà ce qu’elle a permis, mais elle inviterait à repenser les modalités d’actions collectives dans un contexte marqué par un échec de l’Etat nation à surmonter les divisions historiques et à déterminer les recompositions géopolitiques majeures, donc à répondre à la question des frontières autrement que selon le principe du conflit permanent.
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