La pédocriminalité : un horizon de Mai 68 ? Jouissance transgressive, effondrement du surmoi et capitalisme du désir

Last Updated: 28 mai 2025

Par Jamel HENI

Et si les crimes de pédocriminalité qui sidèrent aujourd’hui l’opinion étaient aussi les fruits extrêmes d’une idéologie née dans les années 68 ? Loin de tout complotisme, cette analyse s’appuie sur les travaux de Michel Clouscard pour explorer comment une société qui a marchandisé le désir et la transgression a pu ouvrir, sans le vouloir, un champ de permissivité désastreux pour les plus vulnérables.

Depuis plusieurs années, la France est confrontée à une vague de révélations sur des affaires de pédocriminalité à l’échelle systémique. Ces scandales ne concernent plus seulement des individus isolés, mais des institutions entières, et révèlent une violence structurelle, transgénérationnelle, souvent dissimulée, parfois couverte.

L’affaire de la congrégation de Bétharram en est un exemple frappant : des religieux accusés d’agressions sexuelles sur enfants dans un cadre éducatif et spirituel, protégés par un silence institutionnel prolongé. L’onde de choc est comparable à celle de l’affaire Preynat ou du rapport Sauvé, qui estimait à plus de 330 000 le nombre de victimes d’abus sexuels au sein de l’Église depuis 1950.

Dans un autre domaine, l’affaire Joël Le Scouarnec, chirurgien pédiatrique, illustre une prédation à visage scientifique. Avec plus de 300 victimes identifiées, c’est l’une des plus vastes affaires jamais jugées en France. Derrière la blouse blanche, un homme qui, pendant des décennies, a profité de son autorité et de son statut pour commettre l’irréparable sur des enfants.

Plus récemment encore, du lundi 19 au jeudi 22 mai 2025, une opération d’envergure menée par l’Office des mineurs (Ofmin) a permis l’interpellation de cinquante-cinq hommes à travers toute la France. Ils étaient impliqués dans un vaste réseau pédocriminel actif sur la plateforme Telegram, au terme d’une enquête de dix mois. Les profils des individus interpellés couvrent toutes les classes sociales, tous les âges et de nombreux corps de métiers, révélant l’ampleur et l’ancrage transversal du phénomène. L’enquête a mis au jour des pratiques de diffusion, d’échange, et parfois d’organisation d’abus, dans un climat de clandestinité mais aussi de relative impunité culturelle.

Comment expliquer qu’un tel mal se développe dans une société pourtant hyper-réglementée, informée, vigilante ? Au-delà des carences judiciaires et institutionnelles, c’est le terreau culturel et idéologique de ces dérives qu’il faut interroger. À cet égard, les analyses du sociologue Michel Clouscard, dès les années 1970, offrent une lecture précieuse et inquiétamment actuelle.

Clouscard : Mai 68 ou l’avènement du capitalisme du désir

Pour Clouscard, Mai 68 ne marque pas la fin du capitalisme, mais sa mue. L’ancien ordre productiviste, incarné par De Gaulle, est remplacé par un nouveau régime : le capitalisme permissif, où la consommation n’est plus matérielle mais libidinale. Le marché investit le désir, la jouissance devient produit.

Dans cette dynamique, la société post-68 devient le terrain d’une « alliance sournoise » entre le libéral et le libertaire, où tout ce qui freinait la pulsion – la loi, l’autorité, la famille – est déconstruit au nom de la liberté. La transgression devient non seulement permise, mais valorisée : elle est vendue comme émancipation.

« Consommer, c’est s’émanciper, transgresser, c’est être libre, jouir, c’est être révolutionnaire. »
Michel Clouscard, Néo-Fascisme et Idéologie du désir (1973)

Pédocriminalité : l’ultime jouissance transgressive d’un nihilisme organisé

Dans ce cadre, la pédocriminalité n’apparaît pas comme une aberration isolée, mais comme l’aboutissement extrême de la logique transgressive théorisée et célébrée depuis 1968. Elle incarne l’effondrement de la fonction organisatrice des limites, la disparition du surmoi collectif.

Sans verser dans une psychanalyse de gare, Mai 68 aurait donc préparé l’impossible suppression du surmoi, par un ça absolu : où la pédophilie n’est rien d’autre que tuer l’enfant qui a tué le père. L’enfant, figure d’une modernité libérale-libertaire, devient l’objet final d’un désir sans frein, d’une jouissance déconnectée du symbolique.

Loin d’être seulement une pathologie individuelle, la pédophilie dans ce contexte fonctionne comme symptôme civilisationnel : une société où tout interdit est suspect devient, paradoxalement, un terrain fertile pour les formes les plus obscènes de domination.

Les biais cognitifs d’un mouvement trompé par lui-même

Dans une approche plus cognitive de cette banalisation du mal, les recherches pourraient en effet fournir des éléments d’explication en termes de biais cognitifs. Ces mécanismes mentaux, souvent inconscients, structurent notre rapport à l’information, à la norme, et à la morale. Ils contribuent à rendre pensable – voire acceptable – ce qui devrait demeurer impensable.

  • Biais de normalisation : l’exposition répétée à des formes de transgression (dans l’art, les médias ou certains discours intellectuels) tend à abaisser le seuil de tolérance morale. Ce qui était auparavant choquant devient progressivement toléré.
  • Biais de confirmation : certains individus trouvent dans les théories de libération sexuelle post-68 des arguments qui viennent renforcer leurs pulsions ou justifier des comportements déviants, en sélectionnant les idées qui les arrangent.
  • Effet de halo idéologique : dès lors que la transgression est associée à l’émancipation, toute critique de ses excès devient suspecte. La peur d’être rangé du côté des conservateurs ou des réactionnaires crée un climat de silence ou d’ambiguïté autour des dérives.

Dans ce contexte, l’enfant cesse d’être perçu comme un sujet absolu de droit : il devient une figure ambivalente, tantôt idéalisée, tantôt instrumentalisée, dans une société où les repères symboliques s’effacent au profit d’une immédiateté pulsionnelle.

Pour une réhabilitation de l’interdit comme condition de la liberté

Loin d’être une répression archaïque, l’interdit est la condition de possibilité de toute humanité partagée. Sans lui, le lien social se dissout dans la pulsion, et l’autre devient objet – parfois même l’enfant.

Clouscard l’avait vu venir : à force de vouloir jouir sans limites, de consommer sans médiation, la société produit des formes de violence radicales. Le capitalisme du désir ne libère pas l’humain ; il le consume, parfois littéralement. Dans ce monde où tout est permis, la pédocriminalité incarne l’impossible : un crime qui ne choque plus que quand il devient visible, mais qui prospère dans les interstices d’un nihilisme festif.

Restaurer la fonction symbolique de la limite, c’est préserver ce qu’il reste d’humanité dans un monde qui en a monnayé tous les interdits. C’est dire non à l’indicible, non pas au nom de la morale de classe, mais au nom du respect absolu de la vulnérabilité de l’autre, donc d’une morale universelle de filiation humaine.

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