Tunisie : Révocation du représentant permanent auprès des Nations Unies, une décision stratégique

Last Updated: 4 mai 2025

Le 16 mars 2024, le président de la République tunisienne a pris la décision de mettre un terme aux fonctions de Tarik Adab, représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies à New York. Cette révocation immédiate s’est accompagnée d’une injonction à libérer les bureaux de la mission diplomatique et la résidence officielle, sans possibilité de prolongation de son mandat. Ce limogeage s’inscrit dans un contexte de réajustement stratégique de la diplomatie tunisienne, alors que des voix critiques dénonçaient depuis plusieurs années un affaiblissement de la présence tunisienne au sein du système multilatéral.

Un parcours diplomatique marqué par des controverses

La nomination de Tarik Adab à New York en octobre 2020 avait suscité des interrogations au sein du corps diplomatique, notamment en raison de ses antécédents au Bureau de liaison tuniso-israélien à Tel Aviv sous l’ère de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Sa désignation, sous l’égide de Khémaies Jhinaoui, alors ministre des Affaires étrangères et lui-même ancien responsable du bureau de liaison tuniso-israélien, s’inscrivait dans une continuité qui a alimenté des suspicions sur l’orientation de la politique étrangère tunisienne.

Avant son affectation à New York, Adab avait été en poste à Mascate (Sultanat d’Oman) entre 2013 et 2017, sans laisser d’empreinte diplomatique notable. Sa carrière avait été essentiellement axée sur le monde arabe et la diplomatie bilatérale, sans réelle expérience du multilatéralisme. Son ascension rapide au sein de la Mission permanente de la Tunisie auprès des Nations Unies (MPTNU) s’est notamment réalisée à travers une série de manœuvres internes qui l’ont propulsé au rang de numéro un de la représentation tunisienne.

Un bilan diplomatique mitigé et des positions incohérentes

Durant son mandat au Conseil de sécurité des Nations Unies (2020-2021), la Tunisie devait assurer une représentation forte en tant que membre non permanent, avec des responsabilités accrues sur les questions de paix et de sécurité internationales. Or, plusieurs décisions controversées ont terni l’image de la diplomatie tunisienne.

En 2020, la Tunisie a voté en faveur du renouvellement du mandat de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara occidental), avant de s’abstenir lors du scrutin de 2021, créant des tensions à la fois avec le Maroc et l’Algérie, deux partenaires clés de Tunis.

En 2021, elle s’est également abstenue lors d’un vote crucial à l’Assemblée générale des Nations Unies en faveur de la Palestine, suscitant une levée de boucliers dans les milieux diplomatiques arabes.

L’incapacité à faire aboutir la résolution 2532 du Conseil de sécurité, portée par la Tunisie et la France en 2020, relative à un cessez-le-feu humanitaire mondial en raison de la pandémie de COVID-19, a illustré un affaiblissement du poids tunisien sur la scène internationale.

En 2022, lors du vote sur la condamnation de l’intervention russe en Ukraine, la Tunisie s’est alignée sur une position européenne, contrairement à la majorité des États arabes qui avaient choisi l’abstention, ce qui a provoqué un refroidissement dans les relations avec Moscou.

Un leadership contesté au sein de la mission tunisienne

Au-delà des questions de positionnement stratégique, la gestion interne de la Mission permanente tunisienne à New York sous la direction de Tarik Adab a été décrite comme désorganisée et autoritaire. Son passage à la tête de la mission a conduit à une hémorragie diplomatique, avec le départ forcé de plusieurs cadres expérimentés. L’absence de structuration interne et la concentration des pouvoirs entre les mains d’un cercle restreint ont affaibli la représentation tunisienne au sein du Secrétariat des Nations Unies, des agences spécialisées et des groupes régionaux.

L'un des incidents les plus marquants de cette gestion déficiente a été son incapacité à réagir promptement à l'assassinat, en mai 2023, du caporal-chef Seif Hamrita, un casque bleu tunisien engagé dans la mission de maintien de la paix en République centrafricaine. Contrairement aux usages diplomatiques, la mission tunisienne n’a ni porté officiellement l’affaire devant les Nations Unies ni organisé une cérémonie d’hommage au sein du Conseil de sécurité, ce qui a été perçu comme un manque de reconnaissance envers les sacrifices des soldats tunisiens sous la bannière onusienne.

Vers une refonte de la diplomatie tunisienne ?

Si cette révocation pourrait signaler une volonté présidentielle de réorganiser le paysage diplomatique tunisien, elle met également en lumière une difficulté structurelle : la concentration extrême du pouvoir entre les mains de Kaïs Saïed et l’absence de cadres compétents encore en poste pour assurer une relève efficace. Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président a progressivement écarté la majorité des figures diplomatiques chevronnées, privilégiant des nominations basées sur la loyauté plutôt que sur l’expertise.

Dans ces conditions, le choix du prochain représentant permanent à New York s’annonce complexe. L’absence de vivier diplomatique de haut niveau et la méfiance du président envers les élites traditionnelles risquent de retarder toute nomination et d’exacerber les tensions au sein du ministère des Affaires étrangères. Une vacance prolongée du poste affaiblirait davantage la présence tunisienne sur la scène multilatérale, alors que les Nations Unies restent un espace crucial pour défendre les intérêts du pays, notamment sur les questions sécuritaires, économiques et stratégiques.

Dans ce contexte, il serait attendu que la présidence opte pour un profil à la fois technique et discret, mais encore faut-il que Kaïs Saïed parvienne à identifier un candidat à la fois compétent et politiquement "sûr" à ses yeux. En l’état actuel, et en raison du vide institutionnel qu’il a lui-même contribué à créer, aucune nomination ne semble imminente, et la diplomatie tunisienne pourrait demeurer en suspens à un moment où le pays aurait pourtant besoin d’une voix forte sur la scène internationale.

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